A vrai dire, elle n’y croyait pas. Comme si le destin avait soigneusement orchestré cette magouille... Après avoir eu Mayu en colocataire pour sa première année, c’était maintenant au tour de Shigeki d’entrer en scène. Lui, son ami d’enfance, mais aussi meilleur ami. Enfin bon, c’était toujours plus rassurant d’être avec lui plutôt qu’un parfait inconnu. Après tout, ils avaient déjà dormir de nombreuses fois ensemble et même pris un bain ensemble bien que ce soit quand ils étaient plus jeunes. Peut-être que ça rassurerait son père qu’elle soit avec lui... Ou pas puisqu’une bonne cuisson de nouilles semblait bien plus capitale à ses yeux...

   Laissant uniquement résonner le bruit de leurs pas, Jun suivait Shigeki dans ce couloir menant à leur chambre. Les deux mains sur la hanse de son bagage, elle se risqua à briser ce lourd silence : “C’est quand même pas croyable qu’on finisse encore ensemble! Déjà que je dois te supporter en classe!” Ce n’était que l’un de ces vigoureux changements qu’entrainait la vie lycéenne, et certainement pas le dernier. Il n’y avait pas à en faire des caisses! Et puis, il était quand même propre comme garçon, fallait juste espérer qu’il soit pas trop chiant sur le ménage.

   Geki avait cette fâcheuse manie à faire dépasser sa langue quelque soit les circonstances, et il le prouvait encore une nouvelle fois alors qu’il ouvrait la porte.

   "Sois reconnaissante, t'auras même pas à me chercher quand tu voudras ENCORE que je fasse tes devoirs à ta place.” Il n’avait pas tort puisque c’était toujours vers lui que Jun se tournait puisque non seulement elle ne suivait pas les cours, mais en plus elle ne savait jamais vraiment ce qu’il y avait à faire comme devoirs. “Au moins monsieur a compris où était sa place et qu’il y avait bel et bien une hiérarchie dans ce monde. Tu me remercieras un jour !” fit-elle tout en le devançant pour entrer dans la chambre.

   Son enthousiasme fut de bien courte durée puisqu’une odeur de renfermé avait imprégné la chambre, normal puisque personne ne s’y était introduit depuis la fin de l’année scolaire. “Ça pue !” s’exclama-t-elle tout en se pinçant le nez. “Ouvre la fenêtre sinon on va finir par moisir aussi!” Tout ça pour le divertir alors qu’elle choisissait avec précaution le lit qu’elle allait envahir cette année. C’était une question de survie ! Et même Geki n’entraverait sa décision, même s’il fallait en venir avec les mains !

   Profitant que Geki lui tourne le dos, Jun s’empressa d’élire ce lit plutôt proche de la fenêtre et y vira le sac du garçon dans un son de sachet à patates pour y placer le sien. Dans sa délicatesse naturelle, elle prit les deux lanières de son bagage et en renversa entièrement le contenu sur les draps. Une balle de basket s’en échappa alors jusqu’à ce qu’elle le rattrape à la volée, lâchant complètement le reste pour le faire tournoyer sur sa tête.

   "Ayé, j’ai fini ! On va rejoindre les autres ?” Des affaires c’est des affaires hein ? Et puis de toute façon, elle portait que des vêtements froissés, alors c’est pas comme s’ils allaient devenir lisses en les rangeant bien. Et au moins, ils étaient bien dans son champ de vision, elle n’avait pas à fouiller trois milles ans dans ses meubles pour trouver un pauvre t-shirt. Surtout vu l’application qu’elle avait à choisir ses fringues. "Et si je fais ça Ta-ka-ne Ge-ki, c’est parce que j’avais besoin de place et que c’est mon lit ! VOILA !”

   Empoignant le bras de son nouveau mais pas moins méconnu colocataire, elle leva l’autre, le poing fermé : "Ok ça suffit ! On y va bro’ !” fit-elle en le tirant vers la porte.

   Alors qu’elle comptait définitivement partir de cette chambre imprégnée de l’odeur du renfermé, elle sentit une résistance à son bras. De toute évidence, ce n’était pas le cas pour Geki. Peut-être qu’il l’aimait bien, ce parfum ambiant… "Et tu veux pas ranger ça avant, sis'?” dit-il en tirant sa langue tout en exhibant un soutien-gorge bleu et blanc bien familier à Jun. Ah, mais c’est le sien ! Bah qu’importe, il avait trouvé celui-là, mais les autres attendaient juste gentiment sur le lit. "Bah non pourquoi ? Il est bien là !” La demoiselle n’était certainement pas du genre à complexer sur l’exposition de ses sous-vêtements, c’était que des bouts de tissus qu’on porte sous les fringues, et puis, c’est comme les maillots de bain, et les gens en font pas un patacaisse. Et puis, Geki il l’avait déjà vu à poil ! S’il voulait s’en faire un chapeau, elle le lui donnait volontiers s’il lui en laisse quelques uns.

   Allant fouiller dans la pile sur le lit, elle en retira une certaine quantité qu’elle déposa dans les bras du garçon : "Je sais que t’as envie, alors tiens, tu peux aussi ranger les autres !” Ainsi, quelques dizaines de culottes, chaussettes et soutifs trônaient majestueusement sur le garçon.

Comment ça, 'il est bien là'? C'était ni un tapis ni un gant de baseball, ce soutien-gorge n'était donc à sa place dans aucun des deux derniers endroits où il s'était trouvé. Et que dire du tas négligemment étalé sur le lit?

Le garçon savait, d'expérience, que Shirogane Jun présentait des tendances occasionnelles à l'exhibitionnisme. Ou plus exactement, sa pudeur n'était pas à la hauteur de sa paresse. Mais ce n'était pas parce qu'il devait cohabiter avec cette flemmarde pathologique que lui-même avait envie de passer son temps à patauger dans ses affaires laissées à l'abandon. Il n'eut pas le temps d'en faire la remarque qu'il se retrouva les bras chargés de sous-vêtements féminins, ce qui aurait pu le surprendre s'ils avaient appartenu à une autre propriétaire. Là, pas du tout.

"Je sais que t’as envie, alors tiens, tu peux aussi ranger les autres!", lança-t-elle fièrement.

À vrai dire, il avait machinalement déjà commencé à le faire, et pliait rapidement ce qu'il avait en mains, sans se soucier de ce que ça pouvait être.

"Ta gueule, Shirogane Jun.", coupa-t-il au cas où elle aurait envie de dire quoi que ce soit. "Je fais pas ça pour t'aider, je le fais parce que j'aime pas quand c'est mal rangé."

   Geki, c'était un peu le frère -en plus des trois autres...- complètement chiant avec lequel on ne s'entend pas du tout sur certains points, comme on peut être totalement synchrones sur des trucs totalement bêtes. Genre se regarder et se mettre à rire inutilement sur un détail que personne d'autre qu'eux aurait pu remarquer. Ou encore sortir exactement la même phrase avec la même intonation, sans s'être concertés avant... Au fond elle l'adorait, vraiment! Mais son côté maniaque était plus qu'insupportable, vraiment casse-couilles!

   Jun, pour ceux qui ne s’en douteraient pas, avait toujours du mal depuis qu’elle est toute petite avec les ordres, qu’ils viennent de ses géniteurs, des profs, et surtout de personnes de son âge. Alors qu’il lui dise "Ta gueule” l’avait un peu tiqué, et fait arrêté d’écouter.

   "BWAAAAAAH!” aboya-t-elle en envoyant baldinguer toutes ses fringues, mettant alors un vrai capharnaüm dans la chambre. Ranger c’était vraiment ennuyeux, c’est pour les vieux, c’était comme ça, elle aimait pas. Donc regarder un autre, ça ne pouvait être que pire. Agâcée, elle fit d’une voix boudeuse : "Non mais Geki, c’pas drôle! Vieeeens!”

   Au ralenti, comme si elle avait été dans un film, Jun vit alors le ballon lui échapper de son emprise, un “"Noooooon”” raisonna alors dans sa tête. Comme une divinité apparaissant dans la lumière, elle vit alors Eiji -le président du club de basket-, lui faire un grand sourire, puis prendre son visage le plus démoniaque : "Rattrape-le!”. Attachant ses cheveux d’une traite, le regard sérieux, elle s’élança vers le garçon, laissant éclater toutes ses années d’efforts et de pratique : "SHIGEKIIIIIIIIIIIIIII!!!!” hurla-t-elle en courant dans les couloirs. Alors que ses jambes s’agitaient, ses yeux parcouraient le garçon qui fuyait en dribblant. "Là!” s’écria-t-elle, trouvant alors la faille dans le jeu de Geki. S’emparant alors la vitesse de l’éclaire, le numéro 7 s’avance vers le panier eeeet...

   "Merde.”

   Elle l’avait lancé. Tel un gland. Boom. Boom. Boom. Rebondit le ballon dans les couloirs de Kaiko. Heureusement qu’il n’y avait encore personne dans les couloirs, et qu’un membre du conseil ne traînassait pas dans les parages. Quoiqu’en faite, si.

   "Oups, m’sieur-du-conseil-des-élèves! C’est l’entrain, toussa.” fit-elle l’air niaise, langue tirée sur le côté, le poing placé sur le haut de sa tête...

   Ses baskets qui crissaient, les rebonds de la balle sur le sol, elle s’y aurait cru. Mais si elle avait été dans un vrai match contre Geki, elle aurait bien ri. Loin d’être mauvais, Jun s’était juste efforcée de se surpasser dans ce domaine-là. Et fort ou pas, c’est lui qui avait actuellement la balle à cause d’une faute stupide... Encore heureux qu’elle n’en ait pas fait cinq... -et elle l’avait déjà fait pour un match bien que peu important-  Mais celle-là lui avait coûté bien cher. Un ballon. Son ballon.

   “Allez Geki! Sois cool! Y a personne et tout! Et si tu voulais tant jouer avec, je peux te le prêter mon ballon!” tenta-t-elle de le persuader.  Lui passant devant, en lui faisant bien face, elle lui fit ce sourire qui la caractérisait tant : “Tu peux bien me le rendre, naaan? Pour toutes les fois où je t’ai sauvé la peau! ~ ”

   A vrai dire, elle n’avait pas réellement d’exemples en tête, mais avec toutes les conneries qu’il avait fait, qu’ils avaient fait, il devait bien y avoir une ou deux fois où elle l’avait aidé, ne serait-ce que pour le couvrir ou l’épauler dans une fuite.

   Mais avant même que le garçon n’ait eu une once de pitié pour le joli sourire de la demoiselle, celle-ci s’empara sauvagement du ballon et se mit déjà à gambader en dribblant avec :
   “Mwahaha! N’est pas né celui qui confisquera un ballon à une Shirogane!” Bien qu’en vrai, les Shirogane n’étaient pas particulièrement connus pour leur sportivité.